Bien-être : bonheur, confort, santé, argent nourriture et travail.
Dictature-providence : Obéissance totale du peuple dans une dictature qui est mieux acceptée grâce aux mesures sociales aidant au bien-être.
LE
NAZISME A T-IL ÉTÉ UNE DICTATURE DU BIEN-ÊTRE ?
La dictature
hitlérienne a profité à plus de 94 % des allemands en partie
grâce aux mesures sociales lancées par le régime nazi. Les
allemands qui en ont profité ne voyaient pas le national-socialisme
comme un système d’oppression et de terreur mais plutôt comme un
régime de confort social, une dictature-providence. Grâce aux
réformes sociales, à une politique fiscale favorable à l'homme et
aux multiples possibilités d'ascension sociale, l'opinion publique
n'a cessé d'augmenter, ou tout au moins de rester stable.
Quelles mesures sociales ?
l’État a mis en place des réforment favorisent les grands groupes
industriels et bancaires
Elle a été menée en 2 étapes:
- de 1933 à 1935, l'objectif
est de sortir de la crise en favorisant l'industrie: la
concentration est encouragée, de grands travaux sont lancés
(autoroutes, logements, canaux....), le réarmement commence, des
accords de troc permettent de relancer le commerce extérieur, la
baisse du pouvoir d'achat des salariés permet d'augmenter les
profits.
Les résultats sont positifs: la
croissance repart, le chômage baisse fortement. Ce succès accroit
sensiblement la popularité du régime. Il faut cependant remarquer
qu'Hitler arrive au pouvoir dans une période de reprise économique
internationale.
- de 1936 à 1939,un plan
quadriennal est lancé pour réaliser un développement accéléré
de la production d'armement et pour faire de l'économie allemande
une économie de guerre. A cette fin, l'économie devient
autarcique, c'est à dire que l'Allemagne s'efforce d'être
autosuffisante. Par exemple, la production de caoutchouc et
d'essence synthétiques atteint un stade industriel. A la veille de
la guerre, tandis que les difficultés économiques touchent encore
les grandes puissances capitalistes, le régime nazi affirme que,
de même que l'Allemagne a vaincu la crise, elle pourra triompher
de tous ceux qui s'opposeront à ses ambitions internationales.
LE CONSENTEMENT PAR LE BIEN-ÊTRE ?
Les nazis flétrissaient le
"matérialisme" des démocraties et du communisme
soviétique et prétendaient être les seuls à réhabiliter l'idéal
et l'idéalisme en politique dans le monde contemporain. En dépit de
cette posture, ils étaient convaincus que les grandes commotions
révolutionnaires de l'histoire résultaient de l'insatisfaction
matérielle des masses populaires et veillaient tout particulièrement
à ce que le peuple allemand ne manque de rien. Un régime comme le
nazisme ne peut subsister douze ans grâce à la seule Gestapo : il y
eut aussi consentement de la part du peuple allemand. Et ce
consentement fut, selon l'expression de l'historien Gdtz Aly,
"acheté" par le bien-être matériel.
Le 27 novembre 1933 fut
ainsi fondée la "Force par la Joie",une subdivision du
syndicat
unique, le Front du travail
allemand (Deutsche Arbeitsfront, DAF). Cette organisation devait
offrir aux ouvriers et aux classes moyennes des loisirs qui n'avaient
été jusque-là accessibles qu'aux seuls privilégiés : sport,
vacances à la mer et à la montagne, spectacles... et automobile. En
1938, la KdF inaugure l'usine de production de la KdF-Wagen, vite
appelée Volkswagen ("voiture du peuple"). Conçu par
l'ingénieur Ferdinand Porsche, ce véhicule devait être produit en
masse selon les principes fordismes : doté d'un moteur simple et
robuste, pratique et spacieuse (cinq places), la Volkswagen devait
rendre mobile la famille allemande idéale et faire entrer
l'Allemagne dans l'ère de la motorisation et de la consommation de
masse - les autoroutes du Reich étant prêtes à les accueillir. Son
prix, relativement faible, correspondait tout de même à plus de six
mois de salaire d'un ouvrier. La KDF ouvrit donc une souscription par
achat de bons : plus de 300000 personnes commandèrent leur
Volkswagen... qui ne fut jamais livrée car, dès 1939, l'usine de
Fallersleben (près de Wolfsburg, en Basse-Saxe) construisit des
véhicules militaires (la Kübelwagen de la Wehrmacht, équivalent
allemand de la jeep) sur le châssis et avec le moteur dessinés par
Porsche.
Ce qu'offrit véritablement
la Force par la Joie aux Allemands, ce furent des vacances : pendant
que la France, à l'été 1936, inventait les congés payés, le IIIe
Reich gagnait le consentement de la société par des croisières et
des séjours à la mer. La KDF dispose rapidement d'une flotte de
paquebots de luxe, dont profitent sept millions d'Allemands qui
voguent ainsi, à bas prix, vers la Scandinavie ou vers Madère. La
KDF bâtit aussi des complexes de villégiature, comme la monumentale
station balnéaire de Prora, sur l'île de Rügen (mer du Nord),
dotée de 20000 lits, d'un port de débarquement et d'équipements de
loisir: l'île, sauvage, pourvue d'un biotope remarquable, est ainsi
allégrement bétonnée pour "Tes vacances", comme le vante
cette affiche de 1939.
On est frappé, en voyant
ces images, de constater à quel point la publicité nazie est
conformiste : on retrouverait les mêmes arguments, les mêmes
croquis automobiles et les mêmes silhouettes, profils, sourires et
vêtements dans n'importe quel catalogue américain, britannique ou
français de l'époque, et pour cause - la société de consommation
avait des codes déjà bien établis et reposait sur des stéréotypes
reproduits, empruntés, copiés, y compris par les nazis.
C'est à la jouissance de
ce bien-être matériel, de cette consommation de masse, que les
nazis voulaient faire accéder le peuple allemand - et cette
politique ne s'est pas démentie pendant la guerre, bien au
contraire, puisqu'il s'est agi d'éviter à tout prix une rupture
entre le front et l'arrière, entre le pouvoir et le peuple. Gôtz
Aly montre que la politique sociale (allocations diverses) et fiscale
du Reich fut douce envers la grande masse du peuple allemand : Hitler
refusa obstinément, contre toute évidence comptable et au grand
désespoir de son ministre des Finances (Schwerin von Krosigk),
d'augmenter les impôts, sauf sur les plus riches et sur les
entreprises : la note de Martin Bormann, le secrétaire de Hitler,
montre que le Führer se préoccupe, en 1943, de l'accès des masses
+aux produits de consommation courante, quitte à taxer les
transactions de luxe et les revenus élevés (6000 Reichsmarks/an,
soit plus de trois fois le revenu annuel d'un ouvrier).
Cette politique a un prix:
ce que les impôts ne financent pas, ce sont les spoliations qui le
payent. En 1938, après le pogrom de la "nuit de cristal",
Goering préside à la "déjudaïsation" (Entjudung) de
l'économie et taxe massivement les juifs qui restent dans le Reich.
Ceux qui émigrent doivent abandonner leurs biens. À partir de 1939,
ce sont les territoires occupés par l'Allemagne qui, dans le cadre
d'une prédation systématique, permettent aux Allemands de manger à
leur faim et les détournent d'une révolte contre le régime.
LES NAZIS SONT-ILS PARVENUS DÉMOCRATIQUEMENT AU POUVOIR ?
L'idée est devenue
aujourd'hui un lieu commun ressassé après chaque scrutin marqué
par l'abstention ou par la progression de l'extrême droite: c'est
une démocratie (la république de Weimar) qui a fait le lit du
nazisme, non seulement par son impéritie propre (défauts de la
Constitution), mais aussi parce que les nazis seraient arrivés au
pouvoir en raison du fait majoritaire, donc en
raison d'un processus électoral qui est au fondement de la
démocratie libérale. Or, cette idée est fausse.
Il est vrai que, après
l'échec du putsch de 1923, Hitler adopte une stratégie légaliste :
les nazis doivent parvenir au pouvoir par la force des urnes, et non
des armes. Cette ligne électoraliste est maintenue au moment de
l'étiage (1924-1930), période durant laquelle lés nazis ne se
hissent pas au-dessus de 3 % des voix, comme au moment des succès
les plus vertigineux (37 % des voix en juillet 1932). Il est vrai
aussi que les nazis ne font pas mystère de profiter de la démocratie
(élections, financements publics, immunités parlementaires) pour in
fine abolir cette démocratie elle-même: la république de Weimar,
si libérale et tolérante dans le respect de l'expression politique
de chacun, n'a donc pas su se protéger, tant et si bien que les
démocraties contemporaines ont élaboré des dispositifs contre les
visées anticonstitutionnelles de tout groupe ou parti qui prétend
subvertir la démocratie pour retourner la liberté contre elle-même.
Il est cependant faux
d'affirmer que les nazis ont été portés au pouvoir par les urnes:
certes, leur progression est spectaculaire aux élections
législatives entre 1928 et 1932, mais la tendance électorale s'est
retournée entre juillet et novembre 1932. Lors des élections de
novembre, provoquées par une nouvelle dissolution du Reichstag, le
parlement allemand, ils perdent 6 points, soit deux millions de voix,
et la panique saisit la hiérarchie du NSDAP : Goebbels confie même
à son journal, fin décembre 1932, son humeur morose, convaincu
qu'il est que, décidément, son parti et son Führer ne
parviendront jamais aux responsabilités.
Que s'est-il donc produit?
Des intrigues politiques, bien connues depuis des travaux déjà
anciens de Karl-Dietrich Bracher (Die Auflbsung der Weimarer
Republik, 1955), confirmés par ceux, plus récents, de Dirk Blasius
(Weimars Ende. Bürgerkrieg und Politik 1930-1933, 2005). Depuis
1930, le parlementarisme est de facto suspendu en Allemagne, après
l'éclatement de la grande coalition droite-gauche emmenée, de 1928
à 1930, par le chancelier SPD Hermann Müller, éclatement dû aux
désaccords qui opposaient socialistes et conservateurs sur la
politique à mener en réponse à la crise (relance et politique
sociale ou rigueur budgétaire). Démocrate par nécessité mais
monarchiste par conviction, le président Hindenburg (chef de l'État
depuis 1925) nomme pour résoudre la crise un cabinet d'experts,
dirigé par l'économiste conservateur Heinrich Brüning, chancelier
en mars 1930: comme ce gouvernement ne dispose d'aucune majorité et
ne peut faire adopter de lois par le Reichstag, Hindenburg signe des
décrets-lois, procédure exceptionnelle autorisée par l'article 48
de la Constitution mais qu'il transforme en pratique routinière, en
dehors de tout contrôle (par une juridiction suprême ou par une
cour constitutionnelle, par exemple). Ces "cabinets
présidentiels" court-circuitent le Reichstag, sous Brüning,
mais aussi sous Papen (juin-novembre 1932) et sous Schleicher
(novembre 1932-janvier 1933). Conservatrice socialement et
"orthodoxe" budgétairement, cette politique favorise les
intérêts des industriels et des grands agrariens qui entourent le
président. Au fil des élections législatives, l'effondrement des
partis de droite (sauf le Parti nazi) et la progression des
communistes inquiètent les milieux patronaux et financiers qui
souhaitent que, contre le danger bolchevique, les nazis soient
associés au gouvernement pour lui donner un soutien populaire dont
il ne dispose pas sans les masses nazies. Face à un Hindenburg
réticent, Papen propose une combinaison droite-nazis, un cabinet de
coalition Hitler-Papen, formé le 30 janvier 1933. Papen évince
ainsi Schleicher et pense pouvoir manipuler aisément les ministres
et le chancelier nazi...
Le NSDAP n'est donc pas
plus parvenu à la chancellerie à l'issue d'une "prise de
pouvoir" (Machtergreifung) qu'au terme d'un processus
démocratique, pour la simple raison que le fonctionnement normal de
la démocratie parlementaire a cessé en 1930 et que les nazis sont
en reflux électoral. Leur perte d'attractivité n'est sans doute pas
étrangère à la violence physique inouïe dont leurs SA et SS font
preuve, notamment lors des campagnes électorales de l'été et de
l'automne 1932: étudiée par des historiens aussi bien allemands
(Sven Reichardt ou Dirk Schumann, Politische Gewalt in der Weimarer
Republik 1918-1933. Kampf uni die Strasse und Furcht vor dem
Biirgerkrieg, 2000) que français (Johann Chapoutot, Le meurtre de
Weimar, 2010), cette violence s'explique par la rémanence d'une
culture de guerre, mais aussi par la désespérance sociale induite
par la crise économique, tout comme par la relative faiblesse d'une
démocratie trop libérale, trop respectueuse des libertés pour
faire face à des assauts aussi déterminés de partis qui voulaient
sa mort.
SÉDUCTION ET RÉPRESSION :
La terreur et la
propagande: voilà, au fil des décennies, à quoi s'est réduit le
paradigme totalitaire tel qu'il avait été défini dans les années
1950 par Carl Friedrich et Hannah Arendt. Le concept de
"totalitarisme", élaboré dans un contexte de guerre
froide pour permettre des comparaisons politiquement opportunes entre
nazisme et stalinisme, a tendance à être délaissé par les
historiens du nazisme parce que la comparaison avec l'URSS de Staline est
pauvre (il y a certes familiarité des moyens
mais divergence des fins), mais aussi parce que le couple propagande-terreur sous-tend une conception un peu réductrice,
mécaniste, de l'homme et de la société. Depuis des décennies, et
dans des champs historiographiques divers (que l'on pense ici à
l'étude des mobilisations militaires et de la Grande Guerre en
France), le concept de "consentement" est de plus en plus
mobilisé par les historiens : redécouvrant la "servitude
volontaire" de La Boétie, les historiens de la Grande Guerre
expliquent quatre ans de tranchées par autre chose que la peur du
gendarme et des cours martiales.
De même, les spécialistes
du nazisme font désormais la part belle au consentement, à
l'adhésion des Allemands au IIIe Reich. Robert Gellatelly intitule
ainsi son étude sur les liens entre Gestapo et société allemande
Consent and Coertion ("Le consentement et la contrainte";
traduite en français sous le titre Les Allemands et leur Führer,
2003) pour montrer que si la Gestapo Fait peur, elle est aussi aidée,
de manière approbatrice et active, par une fraction non négligeable
de la population allemande qui dénonce ~t renseigne, pour des motifs
parfois sordides le profit matériel escompté, mais aussi par
adhésion au projet idéologique de purge visant à débarrasser le
corps allemand de ses éléments étrangers et "asociaux".
Les historiens ont ainsi
opéré une sorte de révolution copernicienne dans la manière de
considérer le nazisme : le IIIe Reich n'a pas été que "nuit
et brouillard" ou noir et blanc des images d'archives, il a
aussi été une réalité colorée, voire riante, pour des dizaines
de millions d'Allemands, qui ont profité d'une politique fiscale
douce pour la majorité et d'une politique sociale généreuse. C'est
ce que montre magistralement l'historien Gdtz Aly dans Hitlers
Volkstaat ("L'État du peuple hitlérien", traduit en
français sous le titre Comment Hitler a acheté les Allemands, 2005)
: pendant douze ans, les nazis ont fait peser le coût de leur
politique sociale sur les juifs (spoliation par "aryanisation")
et sur l'Europe occupée (prédation par réquisitions), pour le plus
grand profit d'une population allemande dont l'adhésion était ainsi
obtenue par la satisfaction matérielle et la jouissance des aménités
et des biens (TSF, automobile, etc.) d'une société de consommation
qu'il entrait dans les plans nazis de développer en Allemagne. En
1945, les soldats américains qui sillonnent l'Europe de l'Ouest
s'étonnent des joues roses et pleines qu'ils rencontrent dans le
Reich, alors que l'Europe crie famine... Pendant douze ans la
hiérarchie nazie avait tout fait pour préserver son peuple de la
misère matérielle qui, en 1917-1918, avait provoqué le divorce
entre l'arrière et le front, et entre le Kaiser et ses sujets : la
terreur des dirigeants du Reich était de revivre une révolution
semblable à celle qui, selon eux, avait amené à la défaite et à
l'abdication des Hohenzollern.
La séduction est aussi le
produit d'une mise en scène du régime très étudiée qui, en
associant la beauté à la force, vise à susciter la "fascination"
: ce sentiment de sidération esthétique, qui désarme le sens
critique et entraîne l'approbation de l'affect, a fait l'objet de
plusieurs études au début des années 1990, comme l'exposition
"Fascination et violence" (Faszination und Gewalt, 1992)
présentée à Nuremberg sur le site des congrès nazis et l'essai de
Peter Reichel, consacré à la "beauté du III" Reich"
(Der schône Schein des Dritten Reiches, 1991) traduit en français
sous le titre La fascination du nazisme. Tous les arts sont mobilisés
dans ce projet de défense et illustration esthétique du projet
nazi: le cinéma, la photographie, la sculpture et l'architecture
donnent à voir un régime qui inaugure un nouvel âge d'or de la
culture européenne, une renaissance de la race germanique et de son
art, après les mille ans de décadence médiévale et les deux cents
ans de dévoiement révolutionnaire. C'est à une renaissance de la
race que le nazisme prétendait présider, en multipliant les
représentations mélioratives du canon physique (statues
néo-antiques de Arno Breker) et les projets architecturaux
néo-romains ("Germania", projet de réaménagement de
Berlin élaboré par Albert Speer) : une renaissance esthétique et
éthique, solidaire d'un projet de refondation biologique et sociale
d’une race nordique qui est invitée à retrouver la prime pureté
de son passé antique supposé.
Conclusion:
Sous-estimé
par la gauche et par la droite, Hitler est parvenu facilement, une
fois devenu chancelier, à imposer la dictature de son parti et à
anéantir toute opposition.